En lisant des articles de presse émanant de collègues si sincères et si éprouvés par l’état lamentable de notre système éducatif en général et de notre université en particulier , je n’ai pu m’empêcher de réagir à une telle situation qui s’avère être si profitable au régime politique en place et si préjudiciable à la société algérienne dans son ensemble .
Ma modeste contribution en la matière s’inspire de ma longue expérience comme enseignant universitaire (depuis novembre 1978 ) , ce qui m’a permis de constater de visu, avec peine et amertume , le grand paradoxe algérien à l’échelle universitaire consistant à « avancer vers l’arrière » dans toutes les disciplines …En Algérie , tout peut s’expliquer à partir du facteur politico –historique , dans la mesure où c’est la légitimité -historique qui a façonné l’évolution de l’Algérie post- indépendance sans toutefois rompre avec la période antérieure proche et lointaine …
Historiquement , au lendemain de l’occupation coloniale française plus ou moins complète de l’Algérie (début du 20è sicle) , il y avait un sociologue français du nom de Victor TRENGA qui suggéra l’idée de mettre l’accent sur l’éducation en Algérie dans le but de « conquérir le cœur et l’esprit des autochtones » . Ce que s’attellera d’entreprendre aussitôt la jeune administration civile coloniale qui se mettait en place dans le nord du pays, mais en privilégiant certaines régions au détriment d’autres , au moment où le sud algérien demeurait encore sous administration militaire .
Ce sociologue colonialiste mais au demeurant visionnaire, voulait voir se mettre en place une élite intellectuelle algérienne francophone , voire francophile , qui servirait de relais ou de tampon entre la communauté européenne (celle dite «Pied-noir ») et les « indigènes » , quitte à prendre le risque , soulignait-il, de la voir , à terme, se retourner contre la présence coloniale française en Algérie. .
Quant à l’élite intellectuelle traditionnelle algérienne qui sera représentée par l’Association des Oulémas, sans remettre en cause ouvertement la présence coloniale , elle servira de rempart à cette entreprise d’aliénation culturelle de la société autochtone par le développement de l’enseignement coranique au niveau des médersas en milieu urbain et des zaouïas en milieu rural . Sans omettre de signaler, au passage , que la progéniture de certains Oulémas poursuivra ses études jusqu’au lycée franco-musulman , voire à l’université ( coloniale) …
La lutte de libération nationale a permis au courant dit « nationaliste » d’entraîner dans son sillage les deux courants antagoniques ( …) pour donner une assise populaire au combat libérateur et aussi pour les instrumentaliser , mais ce qui adviendra, sous l’effet de la bleuite », aux lycéens et étudiants qui rejoindront , à partir de 1956 , le maquis sur ordre du FLN , ainsi qu’à celui qui fut l’artisan de la Plateforme de la Soummam ( août 1956 ) , Abane Ramdane liquidé physiquement en 1957 , témoigne d’une certaine suspicion historique envers les intellectuels algériens…
Au lendemain de l’indépendance , la courte parenthèse du président Ahmed Ben Bella ( 1962/1965) fut au détriment du mouvement des Oulémas avec l’emprisonnement de son leader Bachir Ibrahimi et de son fils , à la différence du régime du président Houari Boumediene ( 1965/1978) qui entreprit de mobiliser toutes les énergies de tous les courants pour donner une forte impulsion à sa stratégie de développement . Mais son entreprise d’algérianisation et d’arabisation de l’université algérienne n’a pas abouti aux résultats escomptés comme en témoigne l’état déplorable dans lequel elle se trouve , faute d’ambition scientifique ou par calcul politique…
Durant le règne du président Chadli Bendjedid ( 1979/1992) , l’université algérienne a pris un tournant idéologique nettement en faveur des islamiques et des islamistes , notamment après l’inauguration de la célèbre université islamique de Constantine, où la présidence du conseil scientifique fut confiée à un illustre cheikh d’EL AZHAR sur recommandation du pouvoir politique. Celui-ci sera en effet à l’origine de la montée en puissance du courant religieux à partir de l’enceinte universitaire, comme pour tenter de faire contrepoids à l’émergence du mouvement berbériste en milieu universitaire à partir de 1980. Aussi, Ce qui adviendra lors de la « décennie noire » n’est que la conséquence logique de l’instrumentalisation politique de l’université algérienne durant la période précédente, notamment par suite du net recul du savoir scientifique par l’introduction de l’idéologie, y compris dans les programmes pédagogiques …
Le régime actuel qui a pris le relais depuis avril 1999 n’a pas apporté un saut qualitatif à l’université algérienne qui continue de tirer vers le bas , à l’image d’une « zaouïa » où les étudiants d’apparence apprennent plus à débiter qu’à assimiler ce que leur dictent leurs enseignants d’apparence , souvent confrontés à un bavardage ambiant sans rapport avec l’éthique universitaire . le tout ponctué par des examens semestriels de pure forme , où il sera question de répondre , dans la limite de quelques lignes, à des pseudo- questions , et dont la correction se fera , dans la plupart des cas , sur un simple coup d’œil …
Le drame de l’université algérienne réside principalement dans l’absence de sélection selon le mérite, et cette politique consistant à délivrer des diplômes universitaires sans valeur scientifique ne profite à l’évidence qu’aux médiocres (étudiants et enseignants), ainsi qu’à la « nomenklatura » dont la progéniture poursuit des études universitaires et post- universitaires à l’étranger. Sans oublier les tenants de la légitimité historique du pouvoir, davantage enclins à retarder, autant que possible, l’avènement inéluctable de la légitimité rationnelle du pouvoir, notamment en tirant vers le bas l’université algérienne et, à travers elle, toute la société algérienne …
(Dr BOUMEZRAG Benyoucef,Université d’Alger,Liberté du 18-05-2014)