Pour son centième prix du roman de l’Académie française, le jury de l’Institut a choisi de récompenser ex aequo l’écrivain franco-tunisien de 70 ans Hédi Kaddour pour son roman Les Prépondérants et l’écrivain algérien de 66 ans Boulem Sansal pour son livre intitulé 2084, la fin du monde aux éditions Gallimard.
C’est la troisième fois que l’Académie française décerne son Grand Prix du roman à deux écrivains en même temps. Hédi Kaddour et Boualem Sansal ont été élus au quatrième tour par onze voix chacun. Avec cette récompense, ils rejoignent des écrivains prestigieux, tels que François Mauriac, Michel Tournier ou Patrick Modiano.
- 2084, un roman équilibriste
Déjà distingué par le Grand Prix de la Francophonie en 2013, Boualem Sansal est donc à nouveau honoré par l’Académie française pour son nouveau roman. Le style de l’écrivain algérien est un mélange très réussi entre une langue savante qui sait aussi être familière et ici en particulier très inventive. 2084 décrit dans un avenir plus ou moins proche le quotidien d’un pays imaginaire appelé « Abistan » qui serait sous l’emprise totale d’un dieu unique Yollah et dont le peuple serait muselé par une foi aveugle pour ne pas dire absurde.
Fable visionnaire, conte oriental, récit d’aventures, le roman qui fait référence à celui de Georges Orwell 1984, se lit autant comme une critique du radicalisme religieux que l’éloge de la différence et la liberté de pensée. Jamais didactique, mais au contraire précis dans ses hypothèses futuristes avec un ton parfois cocasse, Boualem Sansal croise avec talent la fiction et la satire, un travail d’équilibriste loin d’être académique, mais qui à juste titre a convaincu les académiciens.
- Les Prépondérants, un roman d’une grande poésie
Nous sommes en Tunisie, dans les années 1920. Le pays est encore un protectorat français, une forme de colonie qui ne dit pas son nom. Dans la ville imaginaire de Nahbès, débarque une équipe de tournage américaine qui va bouleverser les usages, la routine, des habitants, notamment chez les « Prépondérants », ce petit groupe de Français, sûr de lui et dominateur. Qui sont ces Américains, qui font la fête au bar du Grand Hôtel, et dont le président Wilson, vient, bien imprudemment, de parler du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ?
Hédi Kaddour mêle les destins d’une veuve de guerre, Rania ; de Raouf, fils du caïd, tenté par le nationalisme ; de Ganthier, propriétaire terrien rescapé de la boucherie de 1914-1918, « le seul Français que la domination n’a pas rendu idiot » ; de Gabrielle, une journaliste libérée ; et bien sûr des Américains, Kathryn, la starlette, en tête. Hédi Kaddour les fait voyager dans cette Tunisie en proie aux premiers soubresauts indépendantistes, mais aussi dans une Allemagne, elle aussi en partie occupée par les Français, et où un certain Adolf Hitler exploite le désespoir de la population.
La langue d’Hédi Kaddour révèle les grandeurs et les faiblesses de personnages en proie au doute. Elle le fait avec une précision subtile et – surtout – une grande poésie.
(RFI)