Le 27 août 1961, Ferhat Abbas est remplacé à la tête du GPRA par
Benyoucef Benkhedda.
Nous étions donc à sept mois du cessez-le feu, ce qui veut dire que
l’indépendance était acquise aux yeux de tous. Ce n’était plus qu’une question
de mois. Raison pour laquelle il est plus que normal de se poser la question de
savoir ce qui avait motivé cette destitution ?
Dans mon livre « La crise de l’été 1962 » j’ai essayé de comprendre.
Parce que depuis que j’entends parler de cette fameuse crise, je me demandais
comment un homme tel que Ferhat Abbas avait pu choisir un camp au détriment
d’un autre sans raison valable, lui le rassembleur, le réconciliateur, le
modérateur ? Etait-il possible que Ferhat Abbas lui aussi convoitait le pouvoir ?
Lui le leader de l’UDMA, qui avant de rejoindre le FLN avait déjà été accueilli
en chef d’état, et qui pourtant renonça au titre et aux honneurs, pour ne devenir
qu’un simple militant au sein d’un mouvement révolutionnaire qui n’avait même
pas encore en 1955 l’adhésion de tout le peuple algérien ? Comment pouvait-il
convoiter le pouvoir en 1962, alors qu’il y avait renoncé en 1955, après sa
rencontre avec Abane Ramdane ? Pouvait-il avoir rejoint Tlemcen uniquement
pour régler ses comptes avec Benkhedda, comme le disent ses détracteurs,
comme si Benkhedda avait tant de pouvoir au sein de la révolution devant les
trois fameux colonels, les 3B, qui y dictaient leurs lois, avec tout le respect que
je dois à leur mémoire, mais leurs frères de combat ont témoigné en ce sens ?
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Est-ce qu’un tel homme d’état qui a prouvé ses compétences aux yeux du
monde et dont on s’inclinait devant les multiples connaissances, la clairvoyance,
la finesse en politique, celui qui avait fait abnégation de sa vie pour que vive
libre la patrie algérienne, pouvait-il rentrer dans les magouilles de la dernière
heure pour la prise du pouvoir ?
Pour moi il était clair que cet homme ainsi décrit ne ressemblait en rien au
Ferhat Abbas que j’avais appris à connaître au fur et à mesure de mes années de
recherche approfondie.
Et il ressort de ma réflexion que ceux qui ont reproché à Abane d’avoir
fait appel à Ferhat Abbas, autrement dit ceux qui l’ont tué, sont ceux-là mêmes
qui ont destitué Ferhat Abbas de la présidence du GPRA, et l’indépendance
venue, voulaient, et ont réussi d’ailleurs, à être seuls au commande d’un navire
que Ferhat et les udémistes, ainsi que les oulémas, avaient contribué grandement
à mener à bon port.
Et il est clair que ce sont ceux-là mêmes qui, à l’indépendance du pays,
ont mené une croisade de la haine sans précédent dans le monde, contre un
homme intègre et désintéressé qui avait fait don de sa vie à sa patrie.
Ce sont ceux-là même qui se sont saisi de la question de la nation
algérienne, diffamant l’honneur de l’homme, non pas pour l’éliminer du circuit,
car pour cela ils auraient pu le tuer, mais ils ont préféré le laisser vivre afin de le
voir pointer du doigt par la jeunesse de l’indépendance, comme un traitre à cette
nation. Et eux se gargarisant de plaisir.
Et à ce niveau on pourrait se poser la question de savoir d’où il détenaient
ce pouvoir qui leur permettait d’exercer toutes leurs volontés ? Assurément ils
n’étaient pas seuls. Assurément ils étaient soutenus par tous les ennemis de notre
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peuple qui ne voulaient pas le voir heureux. Tous ceux qui ne voulaient pas voir
une Algérie républicaine, démocratique et moderne, se rangeant auprès des
grandes nations.
Et pour ne lui laisser aucune chance de ressurgir, car il savait l’homme,
capable de trouver une solution pour s’extirper de leur complot, ils décidèrent de
salir son honneur auprès de son peuple, en faisant véhiculer les propos sur la
nation algérienne, régulièrement, à toute occasion, dans tous les livres….Et
depuis une dizaine d’années avec Internet, ils ont redoublé de férocité.
Durant 50 ans, mais que dis-je, depuis plutôt 75 ans, c’est-à-dire depuis
1936, ils n’ont jamais senti la fatigue un seul jour, une manière de dire, on prend
du repos, on change de disque. Non c’est la même musique, funèbre bien sûr, de
celui qui a dit que la nation algérienne n’existe pas, abusant de la confiance de
nos jeunes étudiants, et de leurs lecteurs de tout bord.
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La nation algérienne
Cette question de la nation mérite que je m’y attarde aujourd’hui, même si
j’aurais voulu ne point embrumer ce bel hommage que nous rendons au grand
homme, ne pas avoir à remuer le couteau dans la plaie, car ma propre souffrance
a été immense lorsque j’ai découvert le complot ourdi contre lui depuis 1936 et
qui perdure à ce jour.
Ma tristesse lorsque dans « L’indépendance confisquée », j’ai découvert
Ferhat Abbas dans toute sa grandeur, obligé de s’expliquer à ce sujet, comme
s’il avait des comptes à rendre à des hommes sans honneur.
Non, l’homme ne s’est pas plié, ils ne sont pas arrivés à l’atteindre, mais
Ferhat Abbas savait que le message falsifié s’adressait à la jeunesse algérienne
de l’indépendance, cette jeunesse objet de ses préoccupations depuis toujours. Il
lui devait donc sa vérité.
Et l’on ne peut que parler de complot du fait que des historiens de renom,
des intellectuels algériens, des compagnons de lutte de Ferhat Abbas, des
penseurs que lui-même respectait et louait l’oeuvre, de les voir revenir les uns
après les autres véhiculant des propos dont aucun d’eux, et je dis bien aucun
d’eux n’a vérifié la véracité, parce que s’ils l’avaient fait, ils auraient découvert
le mensonge.
Mais là où le bât blesse, c’est qu’aujourd’hui une certaine élite,
algérienne, malheureusement, qui véhicule le message falsifié, reprenant le
flambeau pour matraquer la tombe, on ne va pas nous dire que cette élite n’a pas
été préparée pour. Cette dernière non plus n’a rien vérifié, si elle l’avait fait, elle
aurait découvert le mensonge, mais alors pourquoi véhiculer ce que l’on n’a pas
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vérifié soi-même ? Qu’est-ce qui explique cette union sacrée de la haine ? C’est
que le but justement n’est pas de dire ce qui est vrai, mais de véhiculer le faux.