28 mars 2024

Parcours politique de Feu Ferhat Abbas

Ce décret Crémieux, un précédent, qui avait durablement marqué l’élite indigène.

Malgré le deux poids, deux mesures du décret Crémieux, Ferhat Abbas dont l’humanisme était bien connu, n’a jamais voulu confondre le gros colonat raciste et égoïste au petit peuple pied-noir. En fait, il ne s’est jamais trompé de cible.

La guerre de 14-18 n’a fait qu’enfoncer le clou, car après avoir donné 25 000 de ses enfants, morts dans les tranchés, pour la France, sans savoir d’ailleurs pourquoi ils se battaient, et au lieu que les leurs obtiennent une reconnaissance de l’impôt du sang, ils seront plus brimés que jamais, et les revendications de leur élite pour un mieux vivre ensemble resteront lettre morte.

Cette non-reconnaissance ajoutée au précédent du deux-poids, deux mesures du décret Crémieux, va faire basculer une partie de cette élite indigène,vers les idées indépendantistes.

D’autant plus qu’elle est très attentive aux bouleversements qui secouent le monde, la révolution d’octobre en Russie, les évènements de Turquie, dont les échos son arrivés à cette élite, qui avaient au coeur ce pays musulman.

La révolution turque et l’oeuvre de Mustépha Kemal sont des facteurs déterminants, et le décès de Mustefa Kemal en 1938 sera vécu comme une tragédie, Ferhat Abbas, lui-même en sera affligé, et consacrera plusieurs articles louant l’oeuvre et glorifiant l’homme.

Mais c’est surtout la proclamation du 22 janvier 1917 de Woodrow Wilson, président des Etats Unis, sur les droits des peuples à disposer d’euxmêmes,qui va mettre cette élite en effervescence, et l’encourager à réclamer ses droits avec plus d’insistance, et plus tard avec Ferhat Abbas, ce sera avec virulence.

Au sein de cette élite indigène de l’Algérie de l’entre-deux-guerres, Ferhat Abbas a été le seul à avoir très tôt compris, c’est-à-dire dés 1920, que jamais le colonat n’accepterait de partager une seule miette de ses privilèges.

Mais en 1920, il était encore étudiant. Cet étudiant n’était aux autres, en rien pareil. Il a été reconnu dés cet âge, et par tous, comme un érudit, comme l’occupant lui-même ne possédait dans ses rangs, aucune pareille âme, et comme si dans son berceau, à la place du biberon, il avait un livre. Il est reconnu par tous, comme un génie de la politique, comme il en a existé nulle part ailleurs à

un âge si précoce.

Raison pour laquelle, après l’exil en Syrie de l’émir Khaled, petit fils d’Abdelkader en 1924, qui jusque là occupait la scène politique, au nom de la question indigène, c’est Ferhat Abbas qui va se saisir de la question algérienne,pour ne plus jamais la lâcher, il avait alors 24 ans, bousculant le colonat dans ses assises, comme personne avant lui n’avait jamais osé.

Mais, il a ses études à terminer, il prendra le temps de les faire. Car c’est important d’être diplômé, c’est d’autant plus important lorsque l’on sait que c’est un privilège, vu que les portes des écoles étaient fermées aux indigènes, et c’est encore plus important lorsque l’on va sur le terrain de l’adversaire en se sentant égal et même supérieur.

L’homme montant des années 30

En 1931, Ferhat Abbas termine ses études. Il est docteur en pharmacie. Il décide de s’installer à Sétif, où il ouvre une pharmacie. Une ascension extraordinaire pour un indigène, et quel merveilleuse surprise du destin, pour celui qui jusqu’à l’âge de 10 ans marchait pieds nus dans le douar, sans savoir un seul mot de français.

Ouvrir une pharmacie, c’est l’espoir d’une vie qui se réalise, et de plus les études de pharmacie sont très sélectives. Réussir en ce domaine, c’est énorme pour un français lui-même, que serait-ce pour un indigène confronté à des problèmes de survie, qui ne se limitaient pas au pain quotidien, mais aussi au racisme.

Mais l’étudiant était boursier, encore heureux ! Lorsque l’on sait le nombre d’indigènes dans l’université française en 1920, à peu prés une cinquantaine, on se dit que ces étudiants-là n’ont pas saigné l’administration coloniale.

Mais le virus de la politique avait eu raison de toute autre ambition, et avec un tempérament aussi bouillonnant que le sien, avec ces années exaltantes qu’il venait de passer en tant que président de l’association des étudiants, avec ses activités politiques de plus en plus intense en dehors de sa faculté, il est clair qu’installé, Ferhat Abbas ne pouvait que s’ennuyer dans sa pharmacie.

Et cette pharmacie risquait de lui prendre son temps désormais précieux,car l’l’homme n’a qu’une idée en tête depuis 1920, sortir son peuple de la situation de servitude où le colonialisme le maintenait depuis 1830.

D’ailleurs, il était déjà engagé, Et quand on s’engage pour une cause juste,on sait ce qu’on fait, on sait où on va, et le bien matériel n’a plus aucune valeur.

Cette pharmacie est là. Tant mieux, Il se chargera d’en faire un lieu de rencontres d’hommes préoccupés par le devenir de leur communauté, cherchant le moyen de faire cesser la servitude.

Durant la période de l’entre-deux-guerres, Sétif devint grâce à Ferhat Abbas, la plaque tournante du mouvement national.

Même si Ferhat Abbas, durant sa vie d’étudiant, avait déjà donné les preuves de ses capacités extraordinaires dans le domaine politique, dans ces débuts1930, il n’avait ni un parti, ni son propre journal pour exprimer ses idées politiques.

Raison pour laquelle il avait besoin de l’aide, et de la contribution d’une certaine élite indigène déjà bien installée, à l’exemple du docteur Bendjelloul qui était député de Constantine depuis 1920, et président de la fédération des élus depuis 1933, et sera à partir de 1935, directeur politique du journal L’Entente qui appartenait à la même fédération. Et créera même en 1938 le Rassemblement franco-musulman (RFMA). Il était très aimé de la population constantinoise, car sa générosité était légendaire, oeuvrant pour les plus démunis. Le docteur Bendjelloul était donc une personnalité importante, durant cette période de l’entre-deux-guerres.

De surcroît, Ferhat Abbas n’était lié à un aucun parti politique français, à l’exemple de Messali, activant en France sous haute protection du PCF. Ou à l’exemple de certains élus indigènes affiliés à des partis politique français.

L’un d’entre eux Mohammed El Aziz Kessous affilié à la SFIO.

Personne donc pour le protéger, ni pour l’aider financièrement, car un parti et un journal nécessitent de l’argent et des hommes compétents. Ferhat Abbas n’avait qu’une seule richesse et qu’une seule force celle de ses convictions, que l’indépendance était la seule issue.

Comment y parvenir était une autre question. Et cela depuis 1920. Depuis qu’il avait été confronté à ce racisme odieux de l’algérianisme, à ce rejet de l’autre, qu’il savait irrémédiable,à cette usurpation de l’identité algérienne, dont les usurpateurs se disaient prêts à mettre l’Algérie à feu et à sang s’ils avaient à la quitter, ou étaient prêts au génocide comme dans le cas de Charles Courtain.

Ferhat Abbas, ce génie de la politique, ce visionnaire pouvaient-ils penser un seul instant que ces algérianistes ne mettraient pas leurs promesses à exécution ?

Le visionnaire ne pouvait qu’avoir raison, et vous ne pouvez qu’en convenir, car l’OAS en 1962, n’a-t-elle pas repris le slogan algérianiste de la terre brûlée », mettant Alger à feu et à sang avant de la quitter ?

Qui n’a pas eu le coeur meurtri, à l’époque, pour ceux qui l’on vécu, en apprenant que les archives de la BNA venaient d’être brûlés ? L’Algérie avait perdu 1million et demi de personnes de son peuple, il avait fallu qu’on cherchât à la priver des traces de son passé.

Revenons à Ferhat Abbas pour dire que malgré les difficultés d’ordre matériel, il est dans ces années 1930 une étoile montante, son aura s’étend de Sétif jusque sur tout le territoire national, et même en Métropole où son nom se murmurait déjà, car avec les fêtes du centenaire de la colonisation, il publie un livre choc « Le jeune Algérien » qui marqua les esprits, récidivant sur la question de l’algérianité, de l’islamité du peuple algérien, dénonçant la terrible injustice du service militaire (18 mois pour les Français d’Algérie et 3 ans pour les indigènes)…etc.

Sa réputation étant faite, et sans attendre davantage, il décide de s’engager officiellement en politique, car il savait que ce n’est pas en lançant des slogans les bras croisées, que l’on ferait bouger les choses.

Il devient député de Sétif choisi par les Sétifiens, qui ne cesseront à partir de cette date de lui accorder leur confiance. Raison pour laquelle, Ferhat Abbas rappelait, depuis toujours, son attachement à la ville de Sétif et son affection pour sa population, au point d’avoir émis le voeu d’être enterré prés d’eux. Mais c’est Jijel qui l’a vu naître,et pour le lieu de naissance c’est toujours, et pour tous les êtres mortels que nous sommes, un attachement charnel.

Le temps presse, et l’homme est impatient, il se rapproche de la fédération des élus du constantinois, et permettez-moi à ce niveau, d’émettre une hypothèse que ce serait sur l’initiative et les conseils de Ferhat Abbas que la fédération des élus créa le journal L’Entente où le docteur Bendjelloul président de cette association, en était le directeur politique.

En effet, j’ai constaté que le docteur Bendjelloul, s’efface complètement,et lui laisse le champ libre pour défendre ses idées (remarquons à ce niveau que le docteur Bendjelloul en lui donnant carte blanche dans son propre journal ne

pouvait que partager ses idées ?) et Ferhat Abbas devint surtout à partir de 1937,l’homme fort de L’Entente, son rédacteur en chef et son administrateur, au point que beaucoup de gens ont cru et croient encore que ce journal appartenait à Ferhat Abbas.

Mais il serait plus juste de dire que trois hommes, Bendjelloul, Kessous et Abbas, feront de L’Entente un journal politique pur et dur pour défendre leur communauté et dénoncer l’injustice, au péril de leur vie. Ce journal marqua durablement la période de l’entre-deux-guerres, puisqu’il dura de 1935 à 1942.

Journaliste militant au sein de L’Entente qui appartenait, comme dit précédemment à la fédération des élus du constantinois, Ferhat Abbas n’avait en fait, depuis toujours qu’une ambition, créer son propre journal, car il avait compris très tôt, et dés l’âge de 20 ans, que la presse est une arme redoutable et qu’il fallait s’en servir, et notre homme savait s’en servir.

A l’époque il n’y avait pas les multiples médias que nous avons aujourd’hui. La presse était le média de masse par excellence. Créer son propre journal était aussi pour lui, le seul moyen de s’affranchir de l’élite indigène qui possédait des journaux, et qu’il était obligé de ménager aussi pour avoir une tribune où s’exprimer.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.