18 avril 2024

Parcours politique de Feu Ferhat Abbas

Mais le journalisme c’était avant tout son crédo, là où il se lâchait, là où il se faisait plaisir, et il se révéla un journaliste de talent. En lisant ses articles et éditoriaux,je suis tombée sous la séduction d’une telle plume exceptionnelle et combative.

Ferhat Abbas n’a jamais été dupe, et encore moins utopiste comme l’a qualifié un certain historien, au contraire il était plus que réaliste, car dans les années 1930, venant de terminer ses études de pharmacie, et s’engageant directement en politique pour défendre sa communauté confrontée à l’injustice,il n’avait pas en face de lui uniquement le colonat, mais aussi une certaine élite indigène, hostile à l’idée d’indépendance.

Et cette élite, hélas, Ferhat Abbas n’avait d’autres choix que de la ménager. Et il y avait aussi une élite française indigénophile dont l’aide aux indigènes était précieuse, qui était elle aussi contre l’idée d’indépendance, mais militait pour le vivre ensemble.

Pourquoi Ferhat Abbas devait-il ménager l’élite indigène ?

1° Parce qu’il jugeait qu’elle avait déjà beaucoup donné d’elle-même au service de sa communauté. Et en ce sens Ferhat Abbas est un homme juste.

2° Parce que le combat pour l’indépendance du pays n’était qu’à ses balbutiements, et qu’il avait besoin du soutien et de la contribution de certains des hommes qui la composaient, et qui étaient des personnes rares en leur époque, par leur instruction d’abord, formés au sommet de l’université française,par leur esprit éclairé, par leur expérience en politique, car certains d’entre eux étaient des élus.

3° Parce que la communauté indigène qui n’avait au début du 20ème siècle qu’une centaine d’hommes diplômés des universités françaises, ne pouvait pas se permettre de les sacrifier.

Il est à noter qu’en 1935, il y avait 94 étudiants indigènes fréquentant l’université française d’Algérie.

Certains hommes composant cette élite, seront des compagnons de lutte de Ferhat Abbas durant de nombreuses années, tels le docteur Bendjelloul et Mohammed El Aziz Kessous. Il y eut d’autres hommes, bien évidemment, tels Kadour Sator, Docteur Saadane, Ahmed Benzadi…etc, qui ont travaillé étroitement avec Ferhat Abbas jusqu’au sein de l’UDMA, mais ces deux- là marquèrent durablement son combat politique pour différentes raisons, et donc ce sera sur ces deux hommes que j’insisterai particulièrement.

Le premier, le docteur Bendjelloul, député de Constantine, comme dit précédemment, avait une telle aura dans le constantinois que la population indigène chantait des chansons à sa gloire. Le constantinois ce n’était donc pas rien.

Cette population intéressait Ferhat Abbas de la faire basculer aux idées indépendantistes. Mais ceci ne pourrait se faire que si le docteur Bendjelloul y adhérait lui-même, or ce n’était pas encore tout à fait le cas, mais Ferhat Abbas n’avait jamais perdu espoir de le voir renoncer à ses idées loyalistes pour les idées indépendantistes.

Mais en ouvrant les portes de son journal à Ferhat abbas, sachant qui était l’homme et où il voulait en venir, le docteur Bendjelloul savait ce qu’il faisait,en d’autres termes, qu’en ces années 1930, il était déjà en rupture avec son passé loyaliste.

Mais le docteur Bendjelloul était ligoté par ces élus qu’il représentait.

Lui aussi avait une lourde mission, celle de les convaincre de suivre le mouvement indépendantiste influé par Ferhat Abbas.

Le docteur Bendjelloul se trouvait donc dans une situation inconfortable.

Il était d’accord avec Ferhat Abbas sur l’essentiel, mais comment convaincre les élus ?

Et puis ce n’était pas facile de mettre en jeu son siège de député de Constantine qu’il occupait depuis plus de 10 ans.

Durant huit ans, soit de 1935 à 1942, les deux hommes dirigeront L’Entente côte à côte.

Lorsqu’on a partagé avec un tel homme, toutes ces années de sa vie, on ne peut pas ne pas le ménager. Et Ferhat Abbas avait tout à gagner à garder cet homme prés de lui, convaincu qu’il arriverait à le persuader que l’indépendance était la seule issue.

Rappelons à ce niveau que le docteur Bendjelloul fut parmi les 60 élues qui signèrent une motion en faveur du FLN en 1954.

En fait ce n’était pas tant l’idée d’indépendance en elle-même, que la manière d’y parvenir, qui divisait le gros de l’élite indigène durant la période de l’entre-deux-guerres.

Il en fut de même avec Mohammed El Aziz Kessous, un homme d’une exceptionnelle qualité, juriste de formation, auteur du célèbre ouvrage « La vérité sur le malaise algérien » et qui mena un combat acharné contre le colonat,défendant sa communauté avec ses tripes. Ami de Ferhat Abbas depuis les années collège à Skikda, et que Ferhat Abbas n’arrivait pas à se résoudre à se séparer de sa tête pensante, dont l’Algérie combattante, et ensuite indépendante ne pouvait qu’avoir besoin. Kessous tout en soutenant plus tard le FLN, eut du mal à se résoudre à l’idée d’indépendance pur et simple, attaché à son idéal d’égalité, dont il pensait à l’instar d’Albert Camus, qu’il finirait par avoir raison de l’obstination des colons extrémistes, qui ne voulaient ce pays que pour eux.

Mais Kessous adhérant à la SFIO, je suppose sa liberté entravée.

L’idée d’indépendance n’a jamais quitté l’esprit de Ferhat Abbas comme dit précédemment, mais deux questions l’obsédaient :

1° Comment arriver à cette indépendance sans effusion de sang ?

2° Comment parler d’indépendance, dans ces années 1930, à un peuple pauvre et ignorant qui n’avait qu’une seule préoccupation, à juste raison d’ailleurs, celle de nourrir ses enfants, et qui de surcroît vivait dans la peur de ce code de l’indigénat, véritable épée de Damoclès ?

Et beaucoup de ce peuple pauvre et ignorant, ne savait même pas c’est quoi ce pays France. Et pour ceux qui le savaient, ce pays France constituait la force.

Pour Ferhat Abbas, en ces années 1930, l’indépendance était la seule issue, comment pouvait-il en être autrement, lui qui dés 1920 avait défendu l’algérianité et l’islamité de son peuple face aux algérianistes usurpateurs de l’identité algérienne, et le voilà qui récidive en 1931 avec « Le Jeune Algérien » ?

Pour Ferhat Abbas, l’indépendance, oui bien sûr, mais il ne fallait pas perdre de vue ce peuple cantonné dans la misère et l’ignorance. Ce peuple il fallait « le préparer à de meilleures conditions de lutte » comme il le dit luimême.

Qu’il comprenne pourquoi il devait se battre, et s’il devait se battre, il faudrait qu’il ne le soit pas le ventre creux, se nourrissant d’herbes et de racine comme les bêtes de somme, et en haillons, comme il les décrit encore une fois lui-même.

Et puis ce peuple objet de ses préoccupations, il l’aimait, il voulait le préserver, et lui éviter un nouveau charnier à l’exemple de celui de la guerre de 14-18 où des milliers de ses compatriotes sont morts sans savoir pourquoi ils se battaient.

Raison pour laquelle « L’égalité des droits » était pour lui une première étape nécessaire, mais seulement une étape :

– Égalité des droits devant l’instruction et l’éducation, la revendication majeure,sans laquelle rien ne serait possible ni durant la colonisation pour que l’indigène soit au courant des choses qui le concernent, et puisse apprendre à se défendre,ni demain à l’indépendance du pays.

Car que voudrait dire l’indépendance sans un peuple instruit et éduqué ?

Raison pour laquelle, Ferhat Abbas fera de la question de l’éducation, une mission prioritaire.

Pour lui, quel que soit le combat, l’indépendance par la lutte armée ou par l’autonomie, ce combat ne voulait rien dire, sans éducation.

Et il ne voyait pas non plus cette indépendance sans la contribution de la femme à l’édification du pays. En ces années 1930, Ferhat Abbas est sur tous les fronts, et prendre une autre charge, celle de la femme, très lourde celle-là, et même dangereuse pour sa carrière politique, car à l’époque c’était prendre le risque d’être mal compris par ses compatriotes qui ne voyaient la femme nulle part ailleurs que dans son rôle d’épouse et de mère. Car comment convaincre les parents de laisser leurs filles s’instruire ?

Qu’importe, il décide d’aller jusqu’au bout de ses convictions. Il va au feu et fait de cette cause sienne.

Et c’est avec une joie non contenue que toute l’équipe de L’Entente salua le succès de la première algérienne sage-femme qui obtint son diplôme en 1935,Zohra Ben Toucha.

Et c’est avec la même joie que quelques années plus tard, Ferhat Abbas,annonça lui-même en 1946, dans son journal Egalité, avec une grande fierté que la première femme algérienne, docteur en médecine, venait de naître en la personne de Aldjia Nourredine, aujourd’hui Bénallègue. Une longue interview lui fut d’ailleurs consacrée en ce même journal.

Les noms de ces deux femmes, Zohra Ben Toucha et celui du docteur Aldjia Nourredine Benallègue, devraient d’ailleurs être marqués dans le marbre,dans les lycées et universités algériennes, et salués lors de la journée internationale de la femme, par exemple, mais jamais personne n’a, serait-ce que murmurer leurs noms depuis 1962, alors qu’à leur époque Ferhat Abbas a mesuré la valeur et le symbole, mais c’était Ferhat Abbas.

Pour Ferhat Abbas l’éducation, est une condition sine qua non d’une indépendance réussie.

Et nous sommes tous là pour savoir que le grand homme avait raison, car notre indépendance avec plus de 94% d’analphabètes,l’éducation faisant défaut, le pays s’est retrouvé avec des problèmes insolubles,qu’il traîne derrière lui à ce jour.

Une population, aujourd’hui constituée de 70% de jeunes qui n’ont qu’une idée en tête quitter le pays.

Alors qu’à cette jeunesse Ferhat Abbas avait consacré sa réflexion et son combat politique afin qu’elle vive heureuse dans son

pays.

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