
Proposition de l’administration Trump pour le Proche-Orient. Christophe Pinto et Julien Guillot

Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Moyen-Orient, estime que le plan Trump se fait au détriment des Palestiniens. Selon lui, une remobilisation est possible, malgré leur faible résistance.
Jean-Paul Chagnollaud est le président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo). Professeur émérite des universités, spécialiste du Proche-Orient, il a notamment publié Israël /Palestine, la défaite du vainqueur (Actes Sud, 2017) et Atlas du Moyen-Orient : aux racines de la violence, avec Pierre Blanc (Autrement, 2019).
Avez-vous été surpris par le contenu du plan de Donald Trump pour une solution du conflit israélo-palestinien ?
Dans la forme j’ai trouvé surréaliste l’annonce de ce plan global à Washington en présence d’un seul acteur du conflit, Benyamin Nétanyahou, qui en a d’ailleurs détaillé les termes en présence des chefs des colonies israéliennes qu’il avait invités. Mais sur le fond, il n’y a rien de surprenant et les points essentiels du plan avaient été actés en amont par l’administration Trump ces deux dernières années.
Ainsi, Jérusalem a été reconnue comme unique capitale d’Israël avec le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv depuis décembre 2017. Le refus de prendre en considération les réfugiés palestiniens s’est concrétisé par l’arrêt de toute aide financière américaine à l’UNRWA [Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens].
Les colonies israéliennes ne sont plus considérées comme illégales et l’annexion unilatérale du Golan syrien a été reconnue. Le point intéressant dans le plan Trump, une rétrocession aux Palestiniens d’une zone faisant partie d’Israël depuis 1948 mais peuplée essentiellement d’Arabes (aux environs de Gaza et dans le Néguev), avait déjà été envisagé par l’administration Obama dans le cadre d’un «échange de territoires». Finalement, il s’agit de dissoudre tous les points compliqués du règlement du conflit israélo-palestinien à l’avantage d’une seule partie.
Mais le plan prévoit toute de même une solution à deux Etats…
Oui, il s’appuie sur le principe de deux Etats mais en le vidant de son contenu. Cette approche rappelle la logique du Pacte de la Société des nations de 1919 tout imprégné d’idéologie coloniale. Son article 22 affirmait que ces peuples, du Moyen-Orient et d’ailleurs, n’étaient pas «encore capables de se diriger eux-mêmes». Ils n’étaient donc pas mûrs pour l’indépendance. Or, même si la solution de deux Etats est remise en question aujourd’hui par beaucoup, y compris parmi les jeunes Palestiniens, en raison des réalités du terrain, il n’y a pas d’alternative en dehors de la séparation entre Palestiniens et Israéliens et donc deux Etats.
Sinon, c’est un apartheid institutionnalisé avec trois types de statuts : pleine citoyenneté pour les Israéliens juifs, une citoyenneté de seconde zone pour les Israéliens arabes (20 % de la population) depuis la loi de juillet 2018 sur l’Etat-nation juif et, enfin, une totale absence de droits pour les Palestiniens habitants les régions annexées.
Mais le plan, y compris en Europe et dans certains pays arabes, n’a pas suscité une forte hostilité…
C’est une vue à très court terme, avec des pays qui font semblant de suivre, parce qu’ils ne peuvent faire face au rapport de force. Mais on ne peut changer les fondamentaux des relations internationales en fonction d’une séquence d’histoire. Remettre en cause la non-acquisition de territoires par la force, principe à la base de la Charte des Nations unies, ne peut se faire par une décision unilatérale.
Il s’agit d’une remise en cause qui va bien au-delà de la question palestinienne. Ce plan est un véritable coup de force contre le droit international qui est fondé sur des accords multilatéraux entre les Etats. Un tel coup peut déconstruire, défigurer et déstabiliser, mais on ne peut construire de solutions pérennes sur la base d’un rapport de force par définition instable et précaire. Celui-ci peut évoluer et donc changer à tout moment sous l’influence de multiples facteurs.
Malgré le rejet formel du plan par les dirigeants palestiniens, il n’y a pas de mobilisation populaire à son encontre.
Les Palestiniens sont fatigués de se battre depuis tant d’années sans résultats tangibles. Les jeunes ne croient plus guère à l’action politique et sont en quête d’un avenir personnel meilleur. Mais tous restent profondément attachés à leur terre, à leurs symboles et à leurs droits. Il est vrai aussi que les divisions interpalestiniennes ont miné ces dernières années la situation politique des Palestiniens.
Cela dit, Trump a réussi à réunir pour la première fois les Palestiniens contre son plan, puisque le Hamas a participé mardi soir avec le Fatah et les autres mouvements à la réunion convoquée par le président Mahmoud Abbas à Ramallah pour examiner la réponse à apporter au plan proposé. Il n’y a plus, pour le moment, de résistance active chez les Palestiniens mais cela peut changer demain tant la résilience est forte. Pas question pour eux d’accepter une reddition comme le veut le plan Trump.
(Par Hala Kodmani — 29 janvier 2020 à 20:56,Liberation.fr)