Cette transition ne peut être que l’expression d’un compromis historique et surtout le résultat d’un rapport de forces qu’il s’agira d’imposer. En sachant que les forces et leurs acteurs en course, à la présidentielle, ne sont au fond intéressés que par un réaménagement du système politique donc, que par une nouvelle répartition des centres d’influence et de pouvoir et de répartition de la rente et de ses privilèges, et aussi, la projection d’une nouvelle configuration de la classe politique conforme à leurs intérêts.
Toutes les tentatives, depuis les années 1970, visant à réformer le système politique ou d’une manière beaucoup plus globale, l’Etat, de l’intérieur, ont été vaines. L’arrivée de Bouteflika a mis fin, définitivement, à cette option pour refonder l’Etat national.
Le système et ses différents segments gardent toujours l’initiative dans les luttes autour de la présidentielle, la sortie de représentants d’autres segments, soi-disant contre le 4e mandat, entre aussi dans le cadre de cette dynamique qui vise à assurer l’hégémonie d’un groupe du pouvoir sur un autre.
C’est le propre de la formation des classes sociales et de l’émergence d’une bourgeoisie nationale. Historiquement, c’est la formation de l’Etat national et de ses «prérogatives» qui sont en jeu. Avec tous les atouts dont dispose l’Algérie, historique (révolution de Novembre), géopolitique et économique, elle ne devrait, souhaitons-le, en aucun cas, être amarrée au cercle des systèmes néocoloniaux.
La projection de rejoindre les pays émergents du Brics, même si elle reste lointaine, reste la perspective, qui corresponde le plus aux sacrifices et aspirations du peuple algérien. L’Algérie, rappelons-le, est le seul pays arabo-musulman qui a mené une héroïque guerre de Libération nationale !
3. Les principes fondateurs de la transition
A notre avis, le programme minimum de cette transition, notons-le, dépasse le strict cadre de l’élection présidentielle et peut fédérer toutes les forces vives de la nation et ses élites dans le cadre d’un front patriotique, en prolongement de l’idéal de la révolution de Novembre.
Ces principes seront consacrés dans une nouvelle Constitution, fondatrice de la 2e République. On peut les résumer dans les principes fondateurs suivants :
1 – la refondation de l’Etat national dans le cadre d’un Etat de droit. La suppression de la police politique est le principal préalable. La Constitution doit consacrer autant le rôle transpartisan de l’ANP et de sauvegarde de l’Etat républicain démocratique que le principe du contrôle des services de sécurité par les élus ;
2. l’application des principes de la justice sociale et une répartition équitable des richesses nationales ;
3. la restitution du sigle FLN au patrimoine historique de la société ;
4. la séparation effective du politique et du religieux ;
5. le développement d’une économie productive et la mise en place des instruments du contrôle des finances de l’Etat (cours des comptes, IGF, etc.), pour une réelle transparence dans la gestion des finances publiques et une lutte résolue contre la corruption.
Cette nouvelle transition, quelle que soit la forme qu’elle prendra (élection anticipée, transition, constituante) aura à prendre en charge une situation politique, économique et sociale complexe.
La désarticulation des institutions de l’Etat (ce qui explique la perception générale des citoyens du non-Etat), l’absence de moralité de l’Etat par la gangrène de la corruption, un système économique fondé non sur les données du marché, mais axé presque totalement sur les importations massives de toutes sortes de produits, et une distribution politique de la rente pétrolière ne visant qu’à entretenir une fragile paix sociale.
Il faudrait s’inspirer de l’expérience universelle, en particulier, celle des pays asiatiques émergents.
Le chaînon manquant à toutes les réformes qui concernent aussi bien la relance du secteur économique productif que la réhabilitation des institutions de l’Etat passe de manière obligatoire par une remobilisation des élites, dans l’Etat et la société.
C’est cette interdépendance entre le rôle déterminant des élites, le type de gouvernance et le besoin vital de l’exercice de la démocratie et des libertés qui peut expliquer la nécessité urgente d’une transition animée et dirigée par un large front patriotique, la seule option possible d’ouvrir des perspectives de stabilité et de développement économique et de repositionnement politique de l’Algérie aux plans régional et international. Les dirigeants de cette nouvelle transition n’auront pas la tâche facile. C’est une société en constante ébullition contre l’injustice sociale et le mépris.
Dans un contexte culturel et idéologique dominé par les réseaux de l’économie informelle où précisément les valeurs liées au travail, au mérite et à la compétence, à la défense de l’intérêt de la collectivité, à la culture sont au bas de l’échelle sociale.
Ce ne sera pas facile de remettre tout le monde au travail, tant les mesures populistes ont dominé. Le rôle du système éducatif, eu égard à son rôle stratégique, dans la formation du citoyen et des élites, devrait être une des priorités du nouveau gouvernement. Le taux d’analphabétisme est à plus de 20%, malgré tous les investissements réalisés par l’Etat. La recherche-développement est à 0,2% du PIB, etc.
Le statut de la femme dans la société devrait mériter toute l’attention des progressistes, acteurs sociaux et intellectuels du pays. Il faut clairement affirmer et consacrer l’égalité entre l’homme et la femme. C’est de la refondation de l’Etat national dans le cadre d’un Etat de droit qu’émergera, nécessairement, une nouvelle classe politique, théoriquement acquise aux principes républicains.
L’instrument le plus efficace, politiquement, pour mener cette transition, est la formation d’un front patriotique qui dirigera cette transition. Quelle que soit la forme qu’il prendra, il pourra constituer un creuset de toutes les forces vives de la nation, dans lequel les personnalités, les militants politiques, associatifs et syndicaux pourront jouer un rôle constructif.
Dans la perspective historique de «la lutte pour la renaissance d’un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues» (plateforme du congrès de la Soummam, 1956).
Seul le changement radical, dans la continuité de l’idéal de la révolution de Novembre, inscrit dans le sombre horizon de la société, pourra nourrir notre espoir et continuer à éclairer le combat des citoyens et citoyennes, de différents horizons, attachés à la liberté, à la justice sociale, à l’humanisme et au progrès social.
(Mustapha Ghobrini,le Soir d’algérie du 07-04-2014)