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Le 8 mai 1945 sonne le glas de l’idéal d’égalité
Création de l’UDMA
Pour une République algérienne démocratique et sociale
Mais cette formidable union autour de Ferhat Abbas ne tarda pas à être
brisée. Le 8 mai 1945 avec ses milliers de morts qui fit des rues de Sétif un
fleuve de sang, qui endeuilla tout l’est algérien, et il y eut des morts même à
Alger et Oran. Mais c’est bien dans votre ville que le premier drapeau algérien
fut levé, et c’est bien dans votre ville que le mot « Indépendance » fut crié à la
face d’hommes en treillis prêts à tirer, et ils ont tiré.
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Ce 8 mai 1945, valut à Ferhat Abbas onze mois de prison, accusé d’avoir
provoqué ces évènements, les AML sont dissous, son journal « Egalité » est
suspendu. Ferhat Abbas est éliminé de la scène politique algérienne durant onze
mois, le temps d’éparpiller les troupes, le temps de toutes les intrigues…On
pensait l’homme politique fini. L’avoir pensé, c’était aller vite en besogne.
Raison pour laquelle, nous ne pouvons pas ne pas nous poser la question
de savoir si le 8 mai 1945 n’aurait pas été programmé, dans le seul but, l’unique
but d’enterrer définitivement le Manifeste en brisant les AML, et d’éliminer
définitivement Ferhat Abbas de la scène politique. Il a été mis en sûreté, prêt à
être exécuté. Mais il est libéré onze mois plus tard, car il fut prouvé que ses
mains étaient nettes de sang.
Libéré, il se remet à la tâche sans tarder, c’est à se demander où l’homme
puisait toute cette énergie. Onze mois de prison et en sûreté prêt à être exécuté et
au lieu d’être découragé, ces onze mois de prison n’ont rien fait d’autre que le
revigorer. Durant ces onze mois, il va réfléchir, et tracer son prochain plan de
route. Et à ce niveau, j’émets l’hypothèse selon laquelle c’est en prison qu’il
trace les premières idées de son parti l’UDMA, qu’il crée quelques trois mois
après sa libération. Tout en sachant qu’il n’a jamais cessé de penser à la création
d’un parti, parce qu’il savait que seul un parti lui donnerait une assise nationale.
Il rouvre les portes de son journal Egalité, et cela c’était aussi très important.
Avec l’UDMA, Ferhat Abbas va réussir le pari d’un parti d’envergure
nationale et même internationale, pour libérer le pays de l’oppression coloniale.
Et cette fois-ci, dans l’esprit de Ferhat Abbas, les choses sont claires, ou l’élite
indigène hostile à l’idée d’indépendance, par la lutte armée suit le mouvement,
ou alors il s’en séparera quitte à perdre ses amitiés, car le 8 mai 1945 sonna le
glas de l’égalité et l’UDMA le confirmera deux ans plus tard, soit 19 mars 1948,
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Ferhat Abbas lance un appel à son peuple pour la lutte armée dans le cas où la
France refuserait l’autonomie.
1948 est la date la plus importante de son itinéraire politique, car elle
signe :
1° La rupture définitive avec l’élite indigène d’avant guerre, hostile à
l’indépendance.
2°La rupture avec l’élite française indigénophile, qui était hostile à l’idée
d’indépendance, mais militait pour le vivre ensemble, à l’exemple d’Albert
Camus.
3° La rupture définitive et irrémédiable avec l’idéal d’égalité.
4° L’UDMA devient à partir du 19 mars 1948 (n°118) un parti on ne peut
mieux dire, révolutionnaire, dans le sens où Ferhat Abbas était prêt à basculer, et
même qu’il avait déjà basculé dans l’idée d’une révolution. En effet, il lance
l’appel au peuple algérien au combat pour la création de la République
algérienne par la lutte armée et précise « dans une atmosphère de haine et de
divorce avec la France, dans le cas où cette dernière refuserait l’autonomie», de
toute manière cette République algérienne sera créée, dit-il, parce que l’Etat
algérien est la formule de l’Avenir, alors que jusque-là l’UDMA se revendiquait
du Manifeste, l’indépendance via l’autonomie, il semble clair que Ferhat Abbas,
à partir de 1948, tourne le dos à ce Manifeste, ce fameux « vivre ensemble » dés
lors révolu après les évènements sanglants du 8mai 1945.
Dans un éditorial flamboyant, le voilà qui écrit d’une plume déterminée :
« Le régime colonial sera vaincu. Il est né dans le sang de la multitude
de nos fellah, il finira sans doute dans le sang de ces innocents. Mais il finira
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de toute manière. Il mourra parce qu’il porte les germes de sa propre
destruction »
Il est on ne peut plus clair que Ferhat Abbas parle de Révolution, car je ne
vois pas se qui peut se terminer dans le sang, si ce n’est une révolution.
a) En parlant de lutte armée, Ferhat Abbas savait fort bien que l’élite
indigène hostile à l’idée d’indépendance par la lutte armée ne suivrait pas
le mouvement. La réponse de Kessous ne se fit pas attendre. Il quitte le
navire. Rupture irrémédiable entre les deux hommes qui avaient fait
ensemble un long chemin en politique depuis 1930, et dont l’amitié datant
des années collège semblait indéfectible.
Seconde rupture, Ferhat Abbas écrit un article jetant le docteur
Bendjelloul aux gémonies, qui déjà quelques années auparavant avait
retiré sa signature du Manifeste au point de faire courir le risque d’une
scission au sein du mouvement, et le voilà soudain proposant de ressortir
de la tombe le fameux projet viollette, et auquel Ferhat Abbas répond :
« Le passé ne reviendra pas ».
L’homme qui soutint pourtant les idées indépendantistes de Ferhat
Abbas, à condition d’éviter la lutte armée, fait marche arrière. C’est qu’il
est l’homme qui connaissait le mieux Ferhat Abbas, mieux que ne le
connaissait Kessous, cet ami de toujours. Il a travaillé avec lui durant huit
ans dans un journal, et le journalisme, ce ne sont pas des horaires de
travail, huit à dix heures par jour et on rentre chez soi. L’Entente étant un
journal politique, de la politique pure et dure, un journal de revendication
et non pour faire des mots croisés, tout cela pour dire que c’est que
Bendjeloul et Ferhat Abbas faisait de la politique ensemble au quotidien.
Bendjelloul a vécu au premier plan l’échec du projet viollette, la violence
de réaction de Ferhat Abbas, les articles qu’il a écrit par la suite faisant de